Depuis un peu plus d'un siècle seulement, la plus vieille littérature du monde nous révèle la vérité sur la civilisation égyptienne. La langue dans laquelle elle est écrite relève d'un système sans pareil : si la syntaxe qui modèle les phrases est sémitique (se rattachant à la famille linguistique qui comprendra l'arabe et l'hébreu, notamment), l'expression écrite est un graphisme fort élaboré, l'harmonie verbale relevant dès lors non seulement de la « sonnaille des mots » mais aussi d'un agencement équilibré et heureux des signes.
Un autre de ses caractères, et des plus importants, lie la littérature aux nécessités métaphysiques les plus profondes. Tout l'Orient sémitique révérait le pouvoir créateur du verbe; prononcer un mot, c'était (suivant en cela l'exemple du démiurge au petit matin de la création) donner réalité, corps et vie à ce qu'il exprimait. Cette virtualité magique, cette potentialité créatrice de la parole expliquent l'abondance des textes religieux, qui pourvoient, par les formules, aux nécessités de la survie.
C'est aussi pourquoi, en Egypte ancienne, toute construction, tout objet sont porteurs de textes. De cette littérature d'une importance matérielle et spirituelle infinie, les supports sont plus divers que dans nulle autre civilisation : textes sculptés au ciseau sur les parois de pierre des temples ou des tombeaux, sur les stèles, textes dessinés à l'encre, avec le calame de roseau, sur papyrus, essentiellement, mais aussi sur cuir, sur lin, sur tout objet de poterie.
Grande magie verbale, que la pierre a conservée plus aisément que le papyrus, mince et fragile support; toutefois, certains de ces textes servant dans les écoles comme thèmes d'exercice pour les apprentis scribes, de nombreux fragments retrouvés (qui parfois se complètent) permettent souvent de reconstituer un ensemble littéraire. Et, chaque année, fouilles et découvertes complètent notre connaissance de la plus antique des littératures, qui puise ses sources dans un lointain et inconnu passé de l'humanité, et dont les images, les mythes se répandront largement dans le monde méditerranéen classique.
"La Sagesse du vizir Ptahhotep" (Ve dynastie) est le plus ancien qui nous soit parvenu; les instructions du vizir à son fils (son « bâton de vieillesse ») vont des conseils les plus matériels de bonne tenue en société jusqu'aux règles morales et spirituelles que se doit d'observer l'honnête homme : respect de la famille et de la hiérarchie sociale; simplicité, humilité (« Ne donne pas d'importance aux richesses, qui te sont venues comme un don du dieu »); goût du travail et de la connaissance; pratique de la charité; maintien de la paix et de la concorde entre les hommes (« Que l'amour que tu ressens passe dans le coeur de ceux qui t'aiment, fais que les gens soient aimants et obéissants »); soumission aux volontés divines (« Ce ne sont pas les desseins des hommes qui se réalisent, mais bien le désir du dieu »). Ce traité de morale laïque est le reflet d'une haute conception humaniste de la vie, dont les Maximes d'Ani continueront la tradition.
Ce « genre » est utilisé au profit de la royauté, après que celle-ci (à la fin de l'Ancien Empire) a connu ses premières difficultés; plusieurs souverains adressent alors à leur fils, en ces instructions, un véritable « testament » moral et politique. Dans les Instructions de Kheti à Merikaré (2100 av. J.-C.), le dieu « bon pasteur » confie au roi les hommes pour qu'il les protège (« Le roi a été créé par la divinité comme un soutien pour l'échine des faibles »); celui-ci gouvernera dans un éminent souci de justice (« Plus précieuse au dieu est la vertu du juste que le boeuf du méchant »), en toute intelligence, clairvoyance, maîtrise de soi (« Fais-toi un monument durable par l'amour qu'on te porte »), dans le respect des traditions qui sont une garantie de sagesse (« Comme la bière, la sagesse se prépare longuement »).
Les textes littéraires fleurissent à partir du Moyen Empire, lorsque l'emploi du papyrus (support léger et maniable) se vulgarise, à l'époque où la langue égyptienne acquiert sa plus grande maîtrise.
L'Unique, la bien-aimée, la sans-pareille,
La plus belle du monde,
Regarde-la, semblable à l'étoile brillante de l'an nouveau,
Au seuil d'une belle année.
Celle dont brille la grâce, dont la peau rayonne,
A des yeux au regard clair,
Et des lèvres au doux parler.
Jamais elle ne prononce une parole superflue.
Elle, dont le cou est long, la poitrine lumineuse,
Possède une chevelure de lapis véritable.
Ses bras surpassent l’éclat de l’or
Ses doigts sont semblables aux calices des lotus
Celle dont les reins sont alanguis, et les hanches minces,
Celle dont les jambes défendent la beauté,
Celle dont la démarche est pleine de noblesse,
lorsqu'elle pose ses pieds sur la terre,
De son baiser me prend le coeur.
Elle fait que le cou de tous les hommes
Se tourne pour la regarder.
Et chacun, qu'elle salue, est heureux.
Il se sent le premier des jeunes gens.
Lorsque de sa demeure elle sort,
On pense voir Celle qui est unique.
Les contes et romans sont de sources diverses. Certains, typiquement égyptiens, sont un exercice purement verbal : le Paysan, où un beau parleur volé en chemin saura se faire rendre justice après neuf longs plaidoyers écrits en un style vif, imagé, rutilant d'allitérations et consonances, émaillé de maximes.
Ce penchant oriental pour les enchantements inspire des contes merveilleux (préludes aux Mille et Une Nuits et aux féeries de Perrault) : les Contes du papyrus Westcar, où le roi Kheops, qui s'ennuie, s'entend conter, par chacun de ses fils, des histoires de magiciens (ainsi Djadjaemankh savait, bien avant Moïse, fendre en deux un élément liquide pour le traverser à pied sec); le Conte du prince prédestiné (plus tardif : Nouvel Empire), dont le destin fut façonné à sa naissance par les sept Hathor.
Parfois, des éléments historiques se laissent deviner dans le récit de certaines aventures : romans historiques, affabulations masquant des faits réels. Dans les Aventures de Sinouhé, un dignitaire palatin en fuite, Sinouhé, après maintes péripéties, devient chef d'une tribu du désert avant de rentrer triomphalement à la cour de Sésostris I. Coureur d'aventures? Agent secret? Le style de l'oeuvre, classique, est sobre et beau. La Prise de Jaffa dévoile comment un général de Thoutmosis III conquit la ville en utilisant une ruse qui sera celle d'Ali Baba. Le Voyage d'Ounamon (XXe dynastie) conte les aventures d'un marchand parti quérir des cèdres au Liban.
Les grands mythes du monde méditerranéen déjà sont présents : naufrage, refuge dans une île merveilleuse où un être divin (serpent) détient des pouvoirs ou une plante magique (Conte du naufragé; voir Gilgamesh, Ulysse, Sindbàd); thème de la femme rejetée qui dénonce, par vengeance, un faux adultère, mythe solaire des métamorphoses (Conte des deux frères; voir Joseph et Putiphar, Phèdre et Hippolyte, Protée).
La poésie amoureuse est un genre très en vogue au Nouvel Empire; les images sensibles, de fervente impudeur, les thèmes amoureux inspireront directement les chants de Salomon et, plus tard, les poètes alexandrins (« Ton amour est dans ma chair comme un roseau dans les bras du vent »).
Les fables, conservées sur ostraca, en substituant les animaux aux hommes (le Loup et le Chevreau...), tirent des événements une morale aisée. Esope, ensuite, et plus tard La Fontaine useront du procédé.
Les Egyptiens n'ont point cultivé le genre satirique. Toutefois, le texte que nous appelons la Satire des métiers, dont le but est de vanter l'état de scribe, dénigre joyeusement et plaisamment les autres professions.
Philosophie? Pas de dissertation abstraite; à ce peuple épris de vie les réalités du monde suffisaient; quant à l'au-delà, les dieux et les formules y pourvoyaient. Toutefois, pendant la période trouble qui sépara l'Ancien du Moyen Empire (2280-2050 av. J.-C.) et qui vit l'écroulement de la première institution pharaonique, l'individu, rejeté brutalement hors des limites rassurantes d'une société centralisée, ressentit, au cours d'une crise morale qui sera la seule de l'histoire d'égypte, l'angoisse de l'existence et le doute du lendemain. Une réflexion philosophique naît alors. Des textes d'une grande beauté décrivent la solitude apeurée de l'homme, dont le seul recours semble la mort : les Lamentations d'Ipouour; le Dialogue d'un désespéré avec son âme (« La mort est aujourd'hui devant moi, comme le parfum de la myrrhe, comme lorsqu'on se tient sous la voile par grand vent »). Mais, 2 000 ans avant Epicure, l'autre remède à la « peur existentielle » constituera, aux rives du Nil, le thème des Chants du harpiste (« Suis ton coeur et les plaisirs que tu souhaites. Fais un jour heureux » : la philosophie de l'instant était née).
Certes des allusions, plus ou moins évidentes, aux événements historiques se rencontrent dans certains contes ou romans, ou dans les biographies que, dès l'Ancien Empire, les nobles faisaient sculpter sur les parois des chapelles de leurs mastabas.
Mais les textes historiques véritables sont de deux sortes : documents des archives royales (ou des temples), dont l'existence est attestée (dès la plus haute époque) par les fragments retrouvés de la pierre de Palerme (qui note pour chaque règne, année par année, les faits importants; dynasties I à V) ou par les listes de souverains du Nouvel Empire des tables de Karnak (musée du Louvre).
Autre type de document historique : les annales que Thoutmosis III fit sculpter sur les murs nord et ouest du corridor entourant le saint des saints du grand temple d'Amon à Karnak, notamment, et qui relatent, en un rapport clair et succinct, ses dix-sept campagnes victorieuses en Asie.
Il ne faut point négliger, dans cette littérature historique, les hymnes royaux, inaugurés au début du Moyen Empire (quand les nouveaux souverains eurent besoin d'affermir leur pouvoir); genre durable depuis les Hymnes à Sésostris III jusqu'à ce morceau de bravoure, d'un émouvant lyrisme, qui vante les exploits de Ramsès II à Kadesh : le Poème de Pentaour.
Des textes médicaux, des textes administratifs et juridiques, une importante correspondance privée constituent, à partir du Nouvel Empire, une part non négligeable de la littérature égyptienne pharaonique.
A la fin du Nouvel Empire (1080 av. J.-C.), l'Egypte connaît une longue suite d'invasions étrangères qui vont progressivement marquer le déclin de son génie national. Quelques textes encore s'inspirent du passé glorieux :
• Sagesse de Pétosiris,
• Mythe de l'oeil solaire;
des pseudo-prophéties annoncent le retour de temps meilleurs :
• Oracle du potier,
• Songe de Nectanebo,
• Chronique démotique.
Mais le Roman de Pétoubastis est sous influence grecque.
L'expansion du christianisme copte, en ruinant le système de pensée national, marque le déclin politique du pays et la fin de toute expression littéraire originale.
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