La question est souvent posée de savoir si l'Histoire est une science. Or il suffirait de considérer sa méthode pour avoir aussitôt une réponse positive, non que cette méthode se confonde avec celle des autres sciences, mais parce qu'elle est rationnelle et digne de confiance.
En voici les principaux aspects et les principales difficultés.
Nous entendons par conception classique de la méthode historique celle qui s'est formée au XIXe siècle et qui se trouve formulée en ces termes par FUSTEL DE COULANGES: « L'histoire est une science; elle n'imagine pas, elle voit seulement... elle consiste comme toute science à constater les faits, à les analyser, à les rapprocher, à en marquer le lien... L'historien cherche et atteint les faits par l'observation minutieuse des textes comme le chimiste trouve les siens dans des expériences minutieusement contrôlées. » Ainsi conçue la méthode historique comporte deux temps, comme la méthode expérimentale, l'établissement des faits ou analyse historique et l'explication des faits ou synthèse historique.
Son travail essentiel consiste dans l'étude critique des documents où sont inscrits les faits qu'il faut en extraire avant que d'en tenter l'explication. Des historiens comme LANGLOIS et SEIGNOBOS ont codifié les règles de ce travail, notamment en ce qui concerne l'analyse historique. On distingue avec eux deux sortes de critique: externe et interne. La critique externe a pour but d'établir l'authenticité du document grâce à tout un jeu de critères permettant de détecter les faux, les textes apocryphes, les copies altérées de textes originaux. C'est une critique d'érudition ou de restitution. La critique interne consiste à s'interroger sur la valeur du document en fonction de la psychologie de son auteur.
Il s'agit alors de s'assurer que son information est exacte, son témoignage digne de foi, qu'il a été sincère ou au contraire qu'il a déformé la vérité, volontairement ou non, pour diverses raisons, etc... C'est une critique d'interprétation du texte.
Ce patient labeur une fois effectué, on passera à la synthèse historique c'est-à- dire à l'explication des faits reconnus, par la recherche des relations causales qui les relient ou des lois qui les sous-tendent.
Rien d'aussi rationnel en apparence que de telles règles inspirées, toutes choses égales, de celles qui régissent le travail spécifiquement scientifique. Pourtant l'esprit qui les anime ne fait pas à la raison la part qui lui revient: c'est l'esprit empiriste, dont nous avons déjà dénoncé l'insuffisance dans la conception de la méthode expérimentale.
C'est celle qui a été définie par des historiens et des philosophes contemporains tels que : Marc BLOCH, Lucien FEBVRE, MARROU, Raymond ARON, J. HOURS. Elle comporte à la fois la critique de la précédente façon de voir et l'énoncé d'une théorie de la méthode, d'inspiration rationaliste.
La notion de document est d'abord discutée. On estime qu'il faut entendre par là non seulement les textes mais toute espèce de traces, de vestiges, de témoignages laissés par les hommes du passé. Ce qui implique un large recours aux sciences auxiliaires de l'Histoire.
Mais la principale objection concerne la notion de fait historique. Les nouveaux auteurs sont d'accord pour penser qu'il n'y a pas de réalité historique toute faite que l'on rencontrerait telle quelle dans la recherche. L'erreur a été de croire que les faits existent par eux-mêmes en dehors de nous et qu'il suffit de les décrire. J. HOURS montre pertinemment que ce serait oublier l'activité et l'initiative de l'esprit qui construit les faits historiques à partir des événements purs et des successions d'apparences qui lui sont seulement donnés. Comment d'ailleurs établir ou chercher des faits sans savoir ce que l'on cherche, sans avoir aucune idée directrice? Déjà dans les sciences expérimentales l'idée commande l'observation et est indispensable à l'établissement du fait, a fortiori dans les sciences humaines comme l'Histoire. Il faut donc en histoire élaborer de véritables hypothèses que l'on s'attache à contrôler.
Il en résulte que le fait historique est le résultat d'un choix. C'est par le choix qu'un événement est promu à la dignité de fait historique. " La différence entre la façon dont nous traitons les divers événements, vouant les uns à l'oubli, les autres à l'attention des hommes, est toujours l'effet d'un choix " (J. HOURS).
Mais aussitôt cela met en cause l'objectivité de l'historien puisqu'il faut un critère pour choisir dans la masse des événements ceux auxquels on confère l'importance du fait. Comment le choix sera-t-il opéré?
La conception classique reprenait à son compte le mot fameux de FÉNELON: "le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays." Et certes l'impartialité est souhaitable dans une Histoire qui se veut scientifique. Toutefois à prendre cette règle à la lettre on risque de stériliser l'Histoire, voire même de la rendre impossible. HALPHEN objectait que le bon historien est de tous les temps et de tous les pays en ce sens qu'il s'efforce de comprendre de l'intérieur l'époque ou le milieu qu'il étudie par un acte de sympathie intuitive, de se faire l'âme qu'il faut pour sentir ce qu'il reconstitue. Il lui faut oublier son temps et son milieu, s'oublier lui-même et avoir le don de sympathie pour ce qui a été pensé et vécu par d'autres hommes.
Marc BLOCH fait observer qu'il y a deux façons d'être impartial, celle du savant et celle du juge. L'historien est pris entre les deux. Il lui faut expliquer comme le ferait un savant, réserve faite pour la spécificité des faits humains, mais il ne peut s'empêcher de juger, par exemple à propos des crimes nazis.
C'est justement en quoi l'historien ne peut faire abstraction de toute philosophie. Qu'il le veuille ou non, sa vision du monde commande plus ou moins le choix et l'explication des faits. C'est pourquoi il y a, à côté de l'objectivité, une subjectivité qui joue en Histoire. Il n'y a pas d'Histoire sans une certaine théorie de l'homme. M. RICŒUR a défini la subjectivité propre à l'historien comme une attitude mettant en jeu plusieurs harmoniques: le jugement d'importance sur les faits, le transfert dans un autre présent imaginé, la sympathie pour d'autres hommes, pour d'autres valeurs et la capacité de rencontrer un autrui de jadis. Tout cela ne diminuant en rien, bien au contraire, la valeur de l'Histoire.
L'objectivité garde ses droits en Histoire et notamment par le recours nécessaire à diverses disciplines qui peuvent être des sciences autonomes mais n'en seront pas moins considérées comme sciences auxiliaires de l'Histoire dans la mesure où elles lui serviront d'instruments de recherche.
Dans une liste toujours ouverte, citons seulement: l'épigraphie, la paléographie, l'iconographie, l'archéologie, la numismatique, la toponymie et bien d’autres. De l'Histoire proprement dite se distinguent la Protohistoire qui a pour objet les civilisations antérieures à l'Égypte antique et la Préhistoire qui, dans son étude des hommes primitifs ou fossiles devra faire appel à des sciences biologiques et physiques telles que l'Anthropologie et la Géologie.