Du fait de son appartenance aux sciences humaines l'Histoire fera naturellement jouer de préférence ce mode d'explication que nous avons appelé la compréhension, pour la différencier de l'interprétation des phénomènes dans les sciences expérimentales. Toutefois comme les faits humains ont un contexte naturel on aura intérêt à faire appel également à l'interprétation objective pour l'étude de leurs conditions extérieures.
La pensée doit se garder ici de deux excès contraires: l'affirmation d'un déterminisme qui gouvernerait les faits historiques aussi rigoureusement que les autres sortes de faits, et la négation non moins radicale du déterminisme historique en faveur de la contingence et de la liberté.
• L'Histoire ne se met pas en équations mais elle ne se réduit pas non plus à une série d'événements accidentels et rationnellement inexplicables.
• La principale difficulté est de savoir s'il existe des lois en Histoire comme en Physique ou en Chimie.
On a pu dire que le concept de loi historique était une contradiction dans les termes. Il semble difficile en effet de faire de l'événement le cas particulier d'une loi générale ou la simple variable d'une fonction abstraite. Le dépouiller de ses caractéristiques particulières, de tout ce qui fait qu'il est unique, original, non répétable, ce serait le détruire dans sa réalité concrète et individuelle. M. SEIGNOBOS écrit très justement: " La raison, la clef d'un fait historique est toujours un autre fait historique, faire abstraction de l'accidentel ce serait ici faire abstraction de ce qui est essentiel à l'explication. " C'est dire que pour chaque fait particulier il faut une explication particulière. Ce qui semble détruire le déterminisme.
Concevoir les choses autrement, réduire l'originalité de l'événement pur au bénéfice de la loi ou de la relation causale générale, ce serait exposer l'Histoire au risque de se confondre avec la Sociologie. Il existe un conflit entre les historiens historisant attachés à l'aspect événementiel de l'Histoire, tel SEIGNOBOS, et les historiens sociologisant, tel SIMIAND, qui acceptent et même préconisent l'absorption de l'Histoire dans la Sociologie car ce qui les intéresse n'est pas la description de l'unique ou de l'accidentel, c'est la recherche des lois de l'évolution humaine devenue l'objet d'un savoir rationnel.
On pourrait proposer qu'il y a bien des lois en Histoire mais que ce ne sont pas des lois spécifiquement historiques. En d'autres termes les lois que l'Histoire fait jouer dans une explication, elle les emprunte à d'autres sciences qu'elle-même, pour mieux éclairer l'enchainement des faits. Ainsi l'historien peut invoquer:
- Les lois d'ordre sociologique, comme le processus général: à toute période d'anarchie, quelle qu'elle soit, succède une dictature restaurant l'autorité de l'État.
- Les lois d'ordre psychologique, notamment la constance de la nature humaine à travers le temps, l'analogie de l'homme présent avec l'homme passé, tous deux conduits par des mobiles semblables: intérêts, passions, idéal. LACOMBE en formulait ainsi le principe: " L'homme temporaire et local a pour substratum l'homme général dont la permanence est établie par la psychologie normale. "
- Les lois d'ordre économique. On sait que les marxistes ont insisté sur de tels facteurs en voyant dans la réalité économique, la lutte des forces de production en présence, le moteur principal de l'Histoire. Sans souscrire obligatoirement à leur thèse, il est bien évident qu'on ne peut méconnaitre l'importance de la vie économique dans la genèse des faits historiques.
- Les lois d'ordre géographique. Les facteurs proprement physiques jouent un rôle non négligeable: ainsi dans la vocation maritime d'un pays insulaire comme l'Angleterre.
C'est en ce sens, semble-t-il, qu'on pourrait parler d'un déterminisme en Histoire.