Dès sa naissance, l'individu se trouvait pris dans cette énorme machine administrative qui allait régler son existence jusqu'à la mort. La population était divisée en dix catégories, fondées sur l'âge et l'aptitude au travail.
Tout jeune, l'enfant aidait ses parents aux travaux des champs, gardait le troupeau familial -quelques lamas et alpacas - ou les cochons d'Inde, qui pullulaient dans la maison. A vingt-cinq ans, l'Indien était marié, en même temps que tous les jeunes gens de son âge, par un fonctionnaire venu de la capitale à cet effet.
Devenu un purej, adulte et chef de famille, il pouvait avoir sa propre maison, le plus souvent simple pièce de torchis ou de pierres sèches couverte de chaume, sans meubles, où l'on couchait sur le sol enroulé dans une couverture. Il cultivait son tapa, faisant pousser le maïs, le quinoa et surtout, sur les hautes terres, la pomme de terre; dans les basses régions, plus chaudes, croissaient les courges, les piments, les haricots, le manioc, le coton. Ces biens circulaient à travers tout l'Empire grâce au troc entre paysans des montagnes et paysans des vallées inférieures, mais grâce surtout au système du tribut, car l'économie inca ignorait la monnaie.
Au prix d'efforts immenses, les Indiens gagnaient des terres cultivables en aménageant les pentes en terrasses, qui escaladaient le flanc des montagnes jusqu'à la limite des neiges. La femme participait aux travaux des champs et tissait les étoffes pour la famille ou celles qui étaient destinées à l'Etat, au titre du tribut; elle accompagnait parfois son mari à la guerre, portant les provisions et préparant les aliments. Aux vieillards étaient confiées quelques tâches ménagères faciles. Ainsi se déroulait l'existence de la famille, rude et sans fantaisie.
Rares étaient ceux qui parvenaient à sortir de leur condition de paysans pour accéder à une classe privilégiée. Les artisans, architectes, tailleurs de pierre, métallurgistes, potiers formaient une classe à part. Ils étaient souvent enlevés à leur ayllu pour être attachés au service exclusif de l'Inca, tout en jouissant de certains privilèges. Parvenu au terme de sa vie, l'Indien était enterré par sa famille, entouré de ses instruments de travail, de quelques talismans et d'offrandes alimentaires. Mais, après la mort, le «double» continuait de réclamer attentions et offrandes; aussi chaque année apportait-on aux mallquis, sépultures des ancêtres, de la nourriture et divers objets afin d'en maintenir l'intégrité, garante de celle de leur double.
Le pouvoir de l'Inca sur ses sujets était absolu; ses décisions et sa volonté ne pouvaient être discutées. Depuis le pisco-camayoc, qui commandait à dix familles, jusqu'au suyuyoc, chef d'une des quatre provinces de l'Empire, toute une hiérarchie de fonctionnaires aboutissait à l'Inca, aidé de son conseil suprême. Cette organisation strictement fonctionnelle, avant tout destinée à assurer le recouvrement correct des tributs de toute sorte et l'équitable distribution des biens, supposait la connaissance à tout moment du chiffre des populations et de leurs ressources. Comptabilité écrasante à la charge des quipu-camayoc, qui dressaient recensements et inventaires à l'aide des quipu, faisceaux de cordelettes nouées de différentes couleurs, tandis que d'autres fonctionnaires organisaient et surveillaient les tâches communautaires, distribuaient les produits de consommation ou levaient les tributs.
Le système économique des Incas reposait sur une répartition tripartite des terres. Sitôt conquise, une province était divisée en trois parts: la première pour le Soleil, cultivée pour les besoins du culte et l'entretien du clergé; la deuxième pour l'Inca, exploitée à son profit et servant aussi de réserve en cas de calamité publique; la troisième, enfin, répartie annuellement entre les familles qui constituaient une communauté, ou aylla (groupe de familles unies par des liens de parenté réels ou mythiques et se reconnaissant un ancêtre commun).
Chaque famille recevait un tapa, parcelle dont la superficie dépendait à la fois des qualités de la terre et de l'importance numérique de la famille. Le paysan indien devait aussi participer à la culture des parcelles de l'Inca et du clergé. Enfin, il était régulièrement requis pour participer aux tâches d'intérêt commun: construction d'édifices civils ou religieux, de chemins, de ponts, transport de marchandises ou service militaire.