CICERON (Marcus Tullius), homme politique, orateur et écrivain latin, né à Arpinum en 108 avant notre ère, mort à Formies en 43, naquit d'une famille d'ordre équestre, mais obscure. Après de brillantes études faites sous la direction du grand orateur Crassus et du jurisconsulte M. Scaevola, il prit part à la guerre sociale, et, sous Sylla, à une campagne contre les Marses. Puis, à Rome, il suivit les leçons du rhéteur Molon et de l'académicien Philon. A vingt- six ans, il débuta au Forum en plaidant contre un favori de Sylla (Pro Quinctio). L'année suivante, il se chargea de la défense périlleuse de Roscius d'Amérie (80), accusé de parricide par Chrysogonus, favori de Sylla. Le succès fut éclatant ; mais, au bout d'un an, afin de se faire oublier du terrible dictateur, Cicéron quitta Rome pour Athènes, Rhodes et l'Asie ; il y compléta son éducation oratoire (79-77). Revenu à Rome, il plaida pour le comédien Roscius, et à trente ans aborda la carrière des honneurs. La questure lui ouvrit le sénat (75). Il remplit sa charge en Sicile pendant une disette qui compromettait l'approvisionnement de Rome, et s'acquitta de sa tâche avec habileté, tout en méritant l'affection des Siciliens. Aussi ce malheureux peuple, accablé par Verres, se tourna-t-il vers lui pour demander justice (70). (Verrines). Cicéron obtint gain de cause. Ce succès lui avait concilié la faveur de Pompée, César et Crassus.
Edile en 72, Cicéron se rendit populaire ; mais il recherchait particulièrement l'amitié de Pompée, et, devenu prê- teur (66), il contribuait à faire donner au chef du parti sénatorial la conduite de la guerre contre Mithridate. D'abord lié avec Catilina, il brigua bientôt contre lui le consulat. La crainte du conspirateur et l'appui de Pompée le lui firent accorder par acclamation (63).
Il se sépare alors des démagogues, conduits par Catilina (Catilinaires) qu'il contraint de quitter Rome, et met à mort ses complices sans en référer au peuple. On le proclama Père de la Patrie; mais son excessive vanité, ses railleries à l'adresse de ses adversaires et même de ses amis commencèrent à le discréditer. Pompée, César et Crassus, le redoutant, le minèrent sourdement, et il trouva dans le tribun Clodius un ennemi acharné. Clodius obligea Cicéron à s'exiler (avr. 58). Rappelé au bout de dix-huit mois (août 57) et devenu prudent, Cicéron, parmi les troubles qu'excitait la rivalité de Clodius et de Milon, s'attacha étroitement à Pompée et, durant quelques années, se consacra à des travaux littéraires, sans qu'il cessât entièrement de plaider. A cinquante-quatre ans, il fut reçu dans le collège des augures (53). Milon, en tuant Clodius, le débarrassa de son pire ennemi, et Cicéron défendit le meurtrier; mais la présence des soldats et le tumulte de la foule le troublèrent, et Milon fut condamné. Nommé gouverneur de Cilicie, Cicéron administra bien sa province, et une petite expédition contre les Parthes lui valut le titre de imperator (51-50).
A son retour, la rupture entre César et Pompée avait livré Rome à la guerre civile. Après bien des hésitations, il se décida pour Pompée. Lorsque celui-ci eut été défait à Pharsale (48), Cicéron obtint le pardon de César mais se retira de la vie politique pour écrire presque tous ses traités de rhétorique et de philosophie. C'est alors qu'il répudia Térentia pour épouser une jeune fille fort riche, et qu'il composa l'Eloge de Caton, auquel César répondit par l'Anti-Caton. Le pardon accordé à Marcellus décida son ralliement, marqué par la harangue Pro Marcello. La perte de sa fille Tullia le désespéra ; mais la mort du dictateur (44) le rejeta dans la mêlée, et on le vit applaudir au meurtre de celui qu'il venait d'exalter.
Quand Antoine se posa en successeur de César, il écrivit contre lui ses immortelles Philippiques, et éleva en face de lui le jeune Octave, qu'il ne craignait pas encore. Mais quand Antoine, Octave et Lépide eurent formé le triumvirat, la tête de Cicéron fut le gage qu'Antoine exigea d'Octave. Repoussé par les vents, Cicéron ne put quitter l'Italie, et se retira dans sa villa de Formies. C'est là que les soldats des triumvirs le surprirent, et qu'il mourut avec la plus admirable fermeté (7 déc. 43). Sa tête fut, par l'ordre d'Antoine, exposée sur la tribune aux harangues.
La fécondité littéraire de Cicéron égale son activité politique. Sans parler de ses ouvrages poétiques, nous avons conservé de lui des discours, des travaux de rhétorique, des traités de philosophie et des lettres.
Ses discours politiques et judiciaires manquent souvent de solidité et de précision. Mais dans les harangues politiques il rachète la faiblesse des raisons par le mouvement et la variété du style, par la vigueur ou la finesse des portraits, enfin par le pathétique. Dans les plaidoiries, il excelle aussi à émouvoir les juges, ses narrations sont souvent admirables de clarté, de mouvement et d'esprit ; enfin, il élève les questions, il les élargit jusqu'à de grands problèmes moraux ou politiques. On cite principalement les Verrines, les Catilinaires, le Pro Milone, le Pro Murena, et surtout les Philippiques, son chef-d'œuvre.
Maître de son art, il en donna la théorie, ce qui était à Rome une originalité, dans le De oratore (55), le Brutus et l'Orator (46). Comme lui-même, il veut que l'orateur développe son talent par une vaste culture embrassant la science, l'histoire, le droit et surtout la philosophie ; il attaque ceux dont l'idéal est contraire au sien.
Sur la philosophie, il est aussi le premier Romain qui en ait écrit. Il a composé des ouvrages de théorie politique (Sur la République, Sur les lois), de morale, en particulier sur les devoirs (De officiis), ou traitant de questions religieuses, presque tous composés après Pharsale ; Cicéron a trouvé en eux la consolation et quelque énergie morale. Comme philosophe, Cicéron, qui se rattache plutôt à la nouvelle Académie, n'a aucune originalité ; mais il nous aide à bien connaître les doctrines anciennes, particulièrement le stoïcisme ; enfin, il y a dans son œuvre un intéressant effort pour adapter les pures spéculations aux besoins de la vie et spécialement de la vie romaine.
Ses lettres, enfin, très nombreuses, très variées et très vivantes, offrent un triple intérêt : elles nous font bien connaître Cicéron, peignent la société de l'époque, et offrent à l'historien les documents les plus sûrs et les plus précis.
Par l'étendue, la variété et l'originalité de son œuvre, comme par la variété et les qualités du style, Cicéron est, sans contredit, le plus grand des prosateurs romains.