C'est l'oeuvre d'Euripide : Iphigénie en Aulide que s'inspira Racine, revenant aux sujets grecs qu'il avait délaissés, depuis Andromaque, pour des tragédies romaines ou orientales Quelques grands que fussent les efforts de la cabale pour susciter une tragédie capable d'éclipser celle de Racine, le public sut faire un choix pertinent. Le Clerc et Coras unirent leurs maigres talents pour s'égaler à Racine. Mais leur pièce, jouée quatre ou cinq fois, en mai 1675, à l'Hôtel de la rue de Guénégaud, ne s'attira que brocards et dédains. En 1640, Rotrou avait déjà écrit une Iphigénie, à l'exemple de Sibilet dont l'oeuvre date de 1549. Cependant Racine ne doit rien à l'un et à l'autre de ces deux écrivains. Par ailleurs, on sait qu'il prépara une Iphigénie en Tauride, dont il écrivit le premier acte en prose. Iphigénie en Aulide fut composée après que Racine eût rompu de manière éclatante avec Port-Royal. Blessé que Nicole, un des plus illustres Solitaires, eut osé dire : « Un poète de théâtre est un empoisonneur public, non des corps mais des âmes, qui se doit regarder comme coupable d'une infinité d'homicides spirituels ». Racine, s'inspirant des Provinciales de Pascal, répliqua par une lettre qui semble un trait bien peu généreux. Jusque là, Andromaque et Bérénice avaient été l'objet d'une grande faveur du public, tandis que Britannicus et Bajazet s'étaient heurtées à une résistance assez opiniâtre.
Le premier acte d'Iphigénie se passe à Aulis, dans le camp des Grecs, avant le lever de l'aurore. Agamemnon, qui s'était tout d'abord rendu aux volontés de Calchas le devin et s'apprêtait à immoler sa fille, est pris de remords. Il vient d'envoyer l'un de ses serviteurs dévoués. Amas, afin d'arrêter sur le chemin Iphigénie et sa mère Clytemnestre, venues toutes deux d'Argos. Pour leur expliquer la nécessité de ce voyage, Agamemnon avait argué de l'impatience d'Achille, fiancé à Iphigénie, disant que ce dernier voulait qu'on célébrât les noces avant le départ de la flotte. Le roi prétexte maintenant qu'Achille, amoureux d'une captive, Eriphile, ne consent plus à un mariage aussi précipité. En butte aux reproches d'Ulysse, roi d'Ithaque, qui lui fait grief de son manque de piété et d'obéissance aux dieux et qui montre la plus grande hâte à faire voile en direction de Troie, le malheureux père défend cependant sa fille avec quelque fermeté, lorsqu'on lui annonce soudain l'arrivée d'Iphigénie et de Clytemnestre.
A l'acte II, Ériphile, jeune captive qu'Achille a ramenée de son expédition contre Lesbos, découvre à sa suivante qu'elle aime le fiancé d'Iphigénie et qu'il n'y a rien qu'elle ne se sente capable de tenter pour empêcher l'union que l'on projette. Là-dessus parait Iphigénie qui s'étonne de la froideur de son père et pose avec candeur des questions qui semblent sinistres. Trompées par le billet que leur envoya trop tard Agamemnon, Clytemnestre et sa fille éconduisent Achille sans que celui-ci puisse s'expliquer leur conduite.
L'acte III débute par une scène brève entre Agamemnon et la reine, à qui ordre est donné de s'éloigner du camp avant la cérémonie nuptiale. Incapable de comprendre cette fantaisie du roi, Clytemnestre s'étonne. Mais Amas, se refusant à être complice d'un pareil crime, révèle à tous l'effrayante vérité et le subterfuge d'Agamemnon pour tromper sa fille et éloigner Clytemnestre. Et c'est alors la magistrale révélation qui tombe comme une saisissante prise de conscience de toute l'horreur de la pièce, et que suivent les cris :
« Il l'attend à l'autel pour la sacrifier
- Lui !
- Sa fille !
- Mon père
-O ciel. Quelle nouvelle ».
Outré que l'on ait abusé de son nom pour faire tomber Iphigénie dans un piège, Achille assure à la mère éplorée : « Votre fille vivra, je puis vous le prédire ».
Agamemnon, se voyant démasqué, plaide misérablement sa cause devant Iphigénie, qui lui adresse de tendres reproches, et devant Clytemnestre qui n'épargne pas les injures. Il décide de faire évader les deux femmes. Mais, jalouse, Ériphile ne veut point renoncer à la mort de sa rivale et va dénoncer les projets de fuite à Calchas.
A l'acte V, Iphigénie, arrêtée alors qu'elle quittait Aulis, se résigne à la mort. Encore une fois Achille a pris des mesures pour la défendre de la cruauté de Calchas ; il la supplie de le suivre. Elle s'y refuse avec beaucoup de dignité. De son côté la reine fait montre d'une douleur presque extravagante, qui lui fait dire : « Oui, je la défendrai contre toute l'armée ». Iphigénie lui fait ses adieux, et s'éloigne pour satisfaire aux exigences des dieux. Après que la reine indignée ait appris de la bouche de sa suivante qu'Ériphile a embrassé le parti du devin Calchas et dénoncé Iphigénie au moment de sa fuite. Arcas vient annoncer qu'Achille s'emploie de tout son pouvoir à retarder l'instant du sacrifice.
Enfin, le coup de théâtre attendu permet à l'oeuvre de finir : Ériphile a été reconnue pour le fruit d'un mariage secret entre Thésée et Hélène, de telle sorte que l'oracle peut s'appliquer à elle autant qu'à Iphigénie, lequel oracle désignait pour victime « une fille du sang d'Hélène ». Pressée de faire un choix, l'armée la désigne au coup fatal. Elle devance le sacrificateur et se tue elle-même, laissant à leur joie Iphigénie, Clytemnestre et Achille.
Comme toutes les tragédies de Racine, Iphigénie est construite avec beaucoup d'art. Il semble qu'aucune exposition ne puisse être faite avec plus de naturel ; contraint de garder jusque là le secret, le roi s'ouvre de ses angoisses Arcas au moment où il a besoin de ses services. Dès lors, nous n'ignorons plus rien du drame et de ceux qui le vivent. Le coup de théâtre du troisième acte est particulièrement poignant, et l'horreur de la situation, son réalisme, en prennent une force nouvelle. Enfin tout artificiel qu'il puisse paraître, le dénouement qui substitue une victime à une autre, au moyen d'un oracle et d'une reconnaissance, est habile dans sa simplicité.
Les personnages sont divers : qu'il s'agisse d'Agamemnon dont l'ambition et le souci de ne pas compromettre le succès des armées l'emportent le plus souvent sur l'amour paternel ; de Clytemnestre, épouse altière et mère émouvante, qui trouve des mots admirables pour intéresser Achille au sort de sa fille d'Iphigénie dont la douceur le dispute à la grâce et à une certaine mélancolie. Cette héroïne, si tendre et si parfaitement soumise aux coups du destin, ne laisse pas d'étonner lorsqu'on la compare aux sombres furies, aux possédées que dépeint si excellemment Racine.
Enfin le personnage d'Ériphile, qui n'existait pas chez Euripide, permet une méprise et un heureux dénouement totalement artificiel. « Une tragédie grecque habillée à la moderne », disait Schlegel à propos d'Iphigénie. Il est vrai que ce sacrifice humain dont l'horreur obsède dès la première scène, appartient à un monde, à une mentalité qu'il nous semble difficile de pénétrer. Cependant, cette pièce, dont la langue est admirable, malgré certaines afféteries, est l'une de celles que le public accueillit avec le plus de faveur.
Vous pouvez comparer cette tragédie avec Iphigénie en Aulide d'Euripide