IPHIGÉNIE EN TAURIDE

La première tragédie qui nous soit parvenue est l'Iphigénie en Tauride d'Euripide. On ignore la date de sa première représentation; quelques critiques la fixent à l'an -414, d'autres à -411 ou -409. Les éléments de cette discussion chronologique proviennent de la grande analogie de ce drame avec celui d'Hélène de -412 et de quelques points de rapprochement avec les Troyennes de -415 et avec Electre de -413.

RESUME

Sacrifice d'Iphigénie
Felice TORELLI

Dans le prologue, l'héroïne, Iphigénie, raconte les faits antérieurs au drame : Alors que la flotte grecque était retenue en Aulide, faute de quelque vent favorable. Iphigénie a été appelée auprès de son père Agamemnon sous le prétexte d’épouser Achille, mais en réalité pour être immolée à la déesse Artémis, qui exige ce tribut pour libérer la flotte. La jeune fille était déjà couchée sur l'autel, quand, prise de pitié, la déesse l'a soustraite au coup fatal en lui substituant une biche et l'a transportée en Tauride (actuelle Crimée). Là, devenue prêtresse d'Artémis, Iphigénie préside aux rites cruels des sacrifices humains qu'ordonne le roi Thoas : tout Grec capturé sur cette terre doit être immolé à la déesse.

Et maintenant, devant l'autel sanglant, Iphigénie raconte la nouvelle douleur qui l'accable. Elle a fait un songe : il lui a semblé que, tout en pleurs, elle touchait, de son couteau de sacrificatrice, la tête d'un jeune homme en qui elle croit reconnaître son frère Oreste, encore tout enfant lorsqu'elle fut séparée de lui. Interprétant mal ce songe prophétique, elle conclut à la mort de son frère. Voulant faire des libations à sa mémoire, elle s'éloigne pour se rendre au temple.

Cependant Oreste apparaît, accompagné de Pylade. Sans cesse persécuté depuis le meurtre de sa mère par une horde d'Erinyes, il a reçu d'Apollon l'ordre de s'emparer de l'antique idole d'Artémis en Tauride et de la transporter en Attique car ce n'est qu'à cette condition qu'il pourra être libéré des Furies qui le tourmentent. Arrivé au seuil du temple et devant l'autel couvert de sang, il perd courage et veut s'enfuir mais Pylade le réconforte et tous deux s'éloignent. Entré, en même temps qu'Iphigénie, le choeur composé d'esclaves grecques. Elles se lamentent ensemble sur les malheurs des Atrides auxquels s'ajoute, s'il faut en croire le songe, la mort d'Oreste. Iphigénie vient d'apprendre d'un berger que deux Grecs, sont arrivés et que le roi Thoas s'en est emparé afin qu'ils soient immolés par elle. Le berger ne connaît que le nom de Pylade, pour l'avoir entendu prononcer par l'autre étranger et il a été témoin de l'affreux accès de folie dont ce dernier a été saisi, accès causé — sans que nul ne le sache — par les Erinyes qui le poursuivent.

Iphigénie 1862
Anselm FEUERBACH

A ce récit, des sentiments divers envahissent l'âme d'Iphigénie : sentiment de vengeance contre les Grecs, qui lui fait désirer cruellement le sacrifice des deux jeunes gens, mais en même temps répugnance de plus en plus vive pour l'office de bourreau que le rite de Thoas lui impose. Mise en présence des deux jeunes gens, elle se sent saisie d'une pitié mystérieuse qui la pousse à leur demander qui sont leurs parents et s'ils ont une soeur. Le souvenir d'Oreste, qu'elle croit mort, guide son âme et lui interdit la cruauté. Oreste ne répond pas à ses questions et tait son nom ; il déclare seulement qu'ils sont tous deux d'Argos, mais nullement frères. Puis, tout en s'étonnant de l'anxiété avec laquelle elle s'informe de la Grèce, il répond à ses questions concernant Argos et la maison d'Agamemnon. Elle connaît maintenant toutes les terribles aventures de sa famille et se réjouit de savoir qu'Oreste est vivant, contrairement à son rêve. Béni soit le sort qui lui a envoyé ces deux étrangers, car elle se servira d'eux pour envoyer de ses nouvelles aux siens. Elle offre donc la vie sauve à Oreste s'il promet de porter une lettre d'elle à Argos. Oreste refuse pour lui-même: qu'elle sauve plutôt Pylade qui portera la missive. Iphigénie loue sa générosité et lui promet de lui rendre les honneurs funèbres à la place de sa soeur lointaine.

Dès son départ, Pylade refuse de laisser Oreste se sacrifier. Mais celui-ci ne se laisse pas ébranler, démontrant combien la mort sera pour lui une délivrance. Pylade se résigne, tout en exhortant encore son compagnon à garder confiance en la promesse d'Apollon : car il doit être sauvé. Iphigénie reparaît, son message rédigé. Afin que Pylade, en cas de naufrage, puisse en rapporter le contenu, elle le lit à haute voix. C'est par cet artifice simple et ingénieux, qui suscita l'admiration d'Aristote, que le poète amène la reconnaissance du frère et de la soeur. Ils s'embrassent en pleurant Oreste raconte sa douloureuse histoire et Iphigénie ne pense plus qu'a le sauver. Elle le supplie de s'enfuir et de la laisser s'offrir elle-même en victime au tyran Thoas. Mais Oreste refuse : De quel prix lui serait la vie s'il ne pouvait emmener sa soeur et en même temps ravir, suivant l'ordre d'Apollon, la statue de la déesse ?

Iphigénie et Oreste
Johann Heinrich Wilhelm TISCHBEIN

Iphigénie propose un moyen audacieux et sûr de réussir dans ce double projet. Elle dira à Thoas que les deux étrangers, coupables de parricide, doivent être purifiés par la mer avant le sacrifice et que l'idole de la déesse, souillée par leur contact, doit également passer par la purification. Ainsi tous fuiront sur le navire d'Oreste qui attend, déjà prêt à partir. Le choeur qui a promis à Iphigénie de ne pas la trahir, exprime sa nostalgie de la terre grecque que la jeune fille va revoir. La ruse réussit à merveille ; Iphigénie sait si bien feindre la haine et l'horreur pour les étrangers que Thoas n'a pas le moindre soupçon, et, admirant la piété et la prudence de la prêtresse, lui donne une escorte pour conduire les deux prisonniers à la mer.
Nul ne doit voir le rite s'accomplir, déclare Iphigénie ; pas même les soldats !

Peu après surgit un homme de l'escorte ; il raconte à Thoas la fuite d'Oreste accompagné d'Iphigénie et de la statue de la déesse. Après un certain temps, inquiets du sort d'Iphigénie qui s'était éloignée seule avec les deux étrangers, les serviteurs de Thoas ayant enfreint les ordres, ont vu le groupe prêt à s'embarquer. Après une brève lutte, les Grecs ont pris le large. Contrariés par des vents défavorables, ils sont encore à la merci de la flotte royale. Thoas, furieux, vient d'ordonner la poursuite lorsqu'apparaît la déesse Athéna, qui lui commande de ne pas troubler la fuite des Grecs. C'est la volonté des dieux qu'Oreste aille avec Iphigénie fonder à Athènes un temple à la gloire d'Artémis situé à la frontière nord de l'Attique, où ils déposeront la statue de la déesse. Thoas doit envoyer en Grèce les femmes esclaves ; Il obéit et le choeur prononce des paroles propitiatoires à l'adresse du voyage libérateur d'Oreste.

ANALYSE

Cette tragédie qui, par son côté romanesque, s'apparente beaucoup à Hélène ne laisse pas néanmoins d'être infiniment plus profonde. Même dans les parties romanesques, Euripide adopte un ton plus sévère qui convient à merveille au caractère d'Iphigénie. Cette figure de jeune fille qu'un mystérieux destin a condamnée à un office cruel et qui tout en s'y étant endurcie, a gardé le désir de la nostalgie des affections les plus humaines, est, dans sa complexité, une des créations les plus caractéristiques du génie d'Euripide.
– T.F. Garnier 1935.

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