Des sept tragédies d'Eschyle qui ont été conservées, Les Suppliantes est sans doute la plus ancienne, mais nous n'avons aucun élément permettant de fixer la date de sa composition de façon précise. Il est seulement permis de la situer entre -490 et -480.
L'action se passe à Argos. Les personnages sont : Danaos, père des Danaïdes (les Suppliantes), le roi des Argiens et un Héraut égyptien ; le choeur est formé seulement de douze Danaides qui, en réalité, étaient au nombre de cinquante.
Danaos et Egyptos étaient deux frères d'origine argienne qui régnaient tous deux en Afrique du Nord, le premier du côté de l'Occident, l'autre à l'Orient. Danaos avait cinquante tilles et Egyptos cinquante garçons. Les fils d'Egyptos voulaient épouser les filles de Danaos. Etait-ce pour s'approprier le royaume de leur père ? Dans toutes les versions de la légende, ce détail demeure obscur.
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas ce qui constitue l'argument de la tragédie d'Eschyle. Les filles de Danaos, ayant le mariage en horreur, quittèrent l'Afrique, pour s'y soustraire et se réfugièrent à Argos. La tragédie débute par l'arrivée des jeunes filles, vêtues en voyageuses, le front ceint de bandeaux et portant des rameaux à la main, en signe de supplication. Elles se rassemblent devant un autel : Danaos, leur père, un bonnet de navigateur sur la tête, les accompagne.
La crainte s'exprime sur tous les visages et dans tous les discours on sent presque passer le souffle des poursuivants qui approchent. Toute l'assemblée prie afin que les Egyptiades soient engloutis par les flots avant que d'épouser les Danaïdes et de souiller leur virginité. Les princesses décident d'ailleurs de se percer le coeur ou de se pendre sur les autels des dieux, si ces derniers ne viennent pas à leur secours.
Pélasgos, roi d'Argos, entre en scène, voit ces étrangères et leur demande d'où elles viennent. Celles-ci racontent leurs malheurs et sollicitent du roi son aide. Mais, avant toute chose, celui-ci doit demander l'avis de son peuple ; il se retire sur l'acropole suivi de Danaos, tandis que les vierges restent seules au pied de l'autel. Enfin. Danaos revient, pour leur annoncer que le roi et son peuple consentent à leur accorder aide et protection.
Mais, brusquement, du haut du tertre où il se trouve, Danaos voit approcher les vaisseaux des Egyptiades : il reconnaît les marins, avec leurs membres halés sortant des tuniques blanches courbés sur les rames. L'adversaire avance rapidement. Les princesses sont épouvantées. Quant à leur père, il s'éloigne en courant vers la ville, pour demander au roi d'accourir au plus vite avec ses troupes.
Voici que s'avance le Héraut des Egyptiades, qui demande à parler au roi. Le dialogue est âpre et concis : à l'Africain qui menace de lui déclarer la guerre, Pélaegos répond que les Danaides sont libres de vivre où il leur convient même à Argos si elles le désirent. Tandis que l'envoyé se retire, le choeur entonne un hymne de gratitude à la gloire d'Artémis et s'éloigne vers la ville.
Ainsi s'achève cette tragédie qui est plutôt, à vrai dire, une fresque dramatique. Le thème fondamental est la haine que les filles de Danaos ressentent pour tous les hommes en la personne des Egyptiades leur angoisse de jeunes vierges apeurées s'exprime puissamment dans la troisième scène qui suit l'annonce de l'arrivée des poursuivants.
Mais, si l'acharnement des Egyptiades est une injuste violence incompréhensible, la répulsion qu'éprouvent les Danaïdes à leur égard est une violence contre la nature. C'est pourquoi le choeur chante, à la fin de la tragédie, un hymne en l'honneur d'Aphrodite et d'Héra, les divinités de l'Amour et du Mariage. Ce chant annonce vraisemblablement les deux tragédies qui complétaient la trilogie, à savoir : Les Égyptiens et Les Danaïdes. Des Danaides il nous reste un fragment célébrant la puissance fécondatrice de l'amour.
- T.F. Belles-Lettres, 1931.