SÉNÈQUE (Lucius Annæus Seneca), dit Sénèque le Philosophe, illustre philosophe latin, né à Cordoue vers 4 avant notre ère, mort à Rome en l'an 65 de notre ère. Elevé par sa mère Helvia dans la pratique de la vertu, il vint à Rome de bonne heure. Il étudia d'abord l'éloquence, puis suivit les leçons de trois philosophes : Attale, stoïcien, Fabianus et Sotion, pythagoriciens Il fut avocat, et obtint au barreau des succès qui excitèrent dit-on, la jalousie de Caligula Questeur, il entre au Sénat. Possesseur d'une belle fortune, orateur estimé, causeur recherché il jouissait de l'existence la plus agréable, quand les intrigues de Messaline, femme de Claude, le firent exiler en Corse pendant huit ans (41 à 49). C'est Agrippine qui obtint sa grâce. Elle lui confia, de concert avec Burrhus, l'éducation de Néron. Son élève, devenu empereur, le nomma consul en 57. Après les heureux débuts du règne, durant cinq années, Sénèque lutta en vain contre l'influence des affranchis et les passions du prince. Il réussit, pour son repos, à quitter la cour. Mais Néron l'impliqua dans la conjuration de Pison, et lui envoya l'ordre de mourir. Il s'ouvrit les veines sans trembler.
Si sa mort fut belle et les dernières années de sa vie assez nobles, le reste de son existence manqua de clairvoyance et d'énergie. De là les contradictions qu'on a bien souvent relevées dans sa vie. Disciple d'Attale, il se conforme aux exigences les plus sévères des austérités stoïciennes ; puis il se jette dans la vie mondaine. Il a fait l'éloge de la vertu qui se suffit à elle-même, et, pour revenir d'exil, il s'est abaissé aux flatteries. Il vante la pauvreté, et il possédait, croit-on, une fortune de 300 millions de sesterces, dont il usa d'ailleurs avec modération.
Sénèque avait beaucoup écrit, et dans les genres les plus divers. De cette œuvre volumineuse, il nous reste des tragédies (les Troyennes, Médée, Phèdre, Thyeste, etc.), le Ludus de morte Claudii, plus connu sous le nom d'Apokolokynthose (Claude métamorphosé en citrouille), satire bouffonne, mêlée de prose et de vers ; les Questions naturelles, ouvrage scientifique en sept livres ; deux traités moraux, le De clementia (Sur la clémence), dédié à Néron, et le De beneficiis (Sur les bienfaits) ; dix dialogues ou traités (entre autres les Consolations, les Dialogues sur la brièveté de la vie, sur la tranquillité de l'âme et sur la vie heureuse) ; enfin, les Lettres à Ducilius, admirables.
C'est surtout de morale qu'il s'occupe, même dans les Questions naturelles. La logique ne l'intéresse pas, et, sur les problèmes de métaphysique, sa doctrine est superficielle et souvent contradictoire. Cette morale est très différente de celle d'un Cicéron, pour lequel les devoirs du citoyen, la vie sociale tiennent la première place. Sénèque, au contraire, se désintéresse de la vie politique. La sagesse est de cultiver sa volonté pour mettre son bonheur dans la vertu et non dans les hasards de la fortune. C'est d'ailleurs la doctrine stoïcienne. L'originalité de Sénèque est dans le détail, dans la pénétration avec laquelle il a discerné les vices et les maux dont souffraient ses contemporains, dans la place qu'il a donnée aux devoirs de pitié et d'humanité (contre l'esclavage, les gladiateurs, etc.). Sans doute, cède-t-il trop souvent au goût de l'emphase et des subtilités; mais, dans l'ensemble, ses idées sont exposées avec beaucoup d'élévation, de tact et de finesse, en un style où l'on relève les mêmes qualités et les mêmes défauts : les répétitions sont constantes ; la phrase, toujours morcelée, fatigue ; la recherche du trait conduit parfois à la préciosité. Mais l'esprit est alerte et vivant, les métaphores neuves et heureuses, les antithèses souvent pénétrantes.
Par ce style, il a exercé sur la génération suivante une influence contre laquelle Quintilien a cru devoir réagir, non sans arrière-pensée personnelle. Ses idées lui ont valu d'être consulté, non seulement par les philosophes, mais par les Pères de l'Eglise et les moralistes chrétiens. Son tour d'esprit lui a attiré de nombreux admirateurs, entre autres Montaigne.
Des dix tragédies qui portent le nom de Sénèque, huit sont probablement du philosophe lui-même. Elles sont surtout intéressantes comme le plus important monument qui nous reste de la tragédie romaine.
Enfin, quatorze lettres à saint Paul ont été attribuées à tort à Sénèque ; elles sont apocryphes, même si elles sont fort anciennes, car saint Augustin et saint Jérôme les citaient déjà.
Le musée de Naples possède, de Sénèque, un admirable buste en bronze, trouvé à Herculanum. La Mort de Sénèque a été représentée par Rubens (pinacothèque de Munich), Luca Giordano (musée de Dresde et Louvre), Ribera (Munich), J. Sandrart (musée de Berlin), Delacroix (Chambre des députés, à Paria).
On applique ces deux vers aux personnes sur lesquelles on a cru pouvoir compter et qui trompent votre attente.
Et ce même Sénèque et ce même Burrhus,
Qui depuis..., Rome alors estimait leurs vertus.
Vers de la tragédie de Britannicus (IV, 2), de Racine. Agrippine, cherchant à reprendre son empire sur Néron, lui rappelle les sacrifices, les intrigues, les crimes mêmes par lesquels elle lui a ouvert le chemin du trône. Elle lui avait donné, notamment, ces deux gouverneurs a que Rome honorait de sa voix a, et qui depuis, dit-elle, n'ont fait que la desservir.